C’est le 25 mars 1903 qu’eut lieu le premier diner du Vieux Papier au restaurant du Printemps, 7, rue du Havre. Il avait été annoncé dans le bulletin par l’avis suivant :
« On nous a fait remarquer à diverses reprises combien il était regrettable que les membres de la Société « Le Vieux Papier » n’aient pas des occasions plus fréquentes de se rencontrer et d’échanger leurs idées et leurs pièces de collections.
Nous avons pensé que le meilleur moyen de répondre à ce désir était de se réunir en un dîner mensuel très simple, à date fixe, permettant à nos amis de province de combiner leurs projets de voyages à Paris avec cette date, et à ceux qui ne pourraient assister au diner de venir nous rejoindre ensuite.
« Nous avons fait choix à cet effet du Restaurant du Printemps, rue du Havre, n° 7, où le prix du diner, vin compris, sera de 4 francsnote. Soit environ 31 euros en 2009, ce qui n’était en effet pas très cher., café, liqueurs et service en sus, la salle restant à notre disposition toute la soirée.
Le diner aura lieu le quatrième mercredi de chaque mois à sept heures précises.
Les personnes qui seront désireuses d’y assister, de même qu’aux dîners suivants, voudront bien en aviser le Président 48 heures d’avance afin qu’il puisse faire préparer le nombre de couverts nécessaires.
Nous espérons que cette tentative sera couronnée de succès, car elle ne peut que resserrer les liens si cordiaux qui nous unissent pour la plupart, et au grand avantage du développement de notre Société ».
Les propos tenus par le Président Vivarez à la fin de ce diner, qui comptait 17 participants, méritent d’être rapportés dans leur intégralité :
« Mes chers Collègues,
Permettez-moi de prendre la parole, non pour porter un toast (le caractère presque lacédémonien de ces modestes agapes n’en comporte pas), mais pour vous exprimer toute la joie que j’éprouve, et que vous partagez certainement, en nous voyant ainsi réunis.
On dirait vraiment que les idées les plus simples sont celles qui font le plus péniblement leur chemin. Voilà trois ans que notre Société existe et c’est aujourd’hui, seulement, que nous réalisons ce qui aurait dû être le premier article de notre programme : l’organisation de réunions fréquentes, pour nous mettre souvent en contact, pour apprendre à nous connaître et à nous apprécier les uns les autres, et donner à notre jeune Société la cohésion et l’esprit de corps sans lesquels aucune association ne peut espérer avoir une carrière durable.
« Un éloquent et spirituel avocat, M. Léon Cléry, prétend, dans une intéressante étude que le Temps d’hier soir reproduisait, que la première préoccupation de tout groupement d’amateurs est de fonder un diner mensuel. « C’est toujours ainsi qu’on commence, quitte au bout de quelque temps, ajoute-t-il avec malice, quand des hommes sont réunis et surtout des collectionneurs, à se jeter les plats à la tête. Les collectionneurs, dit-il encore, et surtout les bibliophiles, sont les plus honnêtes gens du monde, habituellement lettrés, érudits, d’une éducation parfaite et d’un sens moral très pur. Ce qui n’empêche qu’il faut les qualités spéciales d’une diplomatie très souple et très avisée pour les faire vivre ensemble pendant longtemps, sans qu’ils donnent à leur Président plus d’embarras qu’il ne convient ».
« Je regrette, à bien des titres, que l’auteur de ces lignes ne soit pas des nôtres. Il se convaincrait aisément que le tableau qu’il a tracé de l’insociabilité des collectionneurs est vraiment trop poussé au noir.
« Pour ma part, je pourrais, avec une expérience déjà assez longue, lui donner l’assurance que le rôle de Président ne m’a causé aucun embarras, qu’il m’a été au contraire rendu par tous agréable et facile, et que je n’ai eu à souffrir, en quoi que ce soit, de l’insuffisance absolue de mes talents diplomatiques.
« Ne prenons donc pas trop au sérieux la boutade d’un homme d’esprit qui ne menace nos futures réunions d’aucun danger réel. Regrettons, bien au contraire, que leur inauguration ait été si tardive. Mieux vaut tard que jamais, dit le proverbe. Puissions-nous nous retrouver ainsi chaque mois, en un noyau fidèle qui sera, en quelque sorte, le bataillon sacré des vieux papiéristes.
« Pour que l’effectif de ce bataillon aille sans cesse en grossissant, pour que ces réunions répondent à nos espérances et exercent autour de nous attraction profitable, il faut que nous trouvions le moyen de leur donner un intérêt sans cesse renouvelé.
« C’est là, pour votre bureau, une tâche qui ne laisserait pas d’être inquiétante, s’il n’était sûr de pouvoir compter sur le concours de tous et de chacun. Et nous sommes d’autant plus certains de ce concours bienveillant que nous en avons, dès aujourd’hui, une preuve des plus encourageantes.
« Un diner, et surtout un diner comme celui-ci, qui groupe des amateurs d’archéologie et d’art, ne peut se concevoir sans un menu où l’énumération des mets soit accompagnée d’une illustration symbolique.
« Nous aurions été certainement très embarrassés, cette fois, pour vous en offrir un qui fût digne de vous et de notre Société, sans l’aide providentielle de notre collègue, M. Marteau, qui m’a exprimé ses regrets de ne pouvoir être des nôtres ce soir, et auquel je vous demande de voter des remerciements chaleureux. (Applaudissements).
« Avec une bonne grâce extrême, il a, en quelques jours, établi le petit chef-d’œuvre que vous avez sous les yeux, et qui ravira d’aise tous ceux d’entre nous qui, présents ou absents, ont au cœur l’amour des vieilles cartes à jouer.
« Regardez attentivement l’image qui orne votre menu. Elle reproduit le valet de trèfle du jeu de Jehan Volay, dont le monogramme figure sur l’écu et le fer de la hallebarde de ce farouche soldat. M. Marteau l’a fidèlement copié sur le précieux original qui est une des pièces capitales de sa riche collection que plusieurs d’entre vous connaissent, et qui compte tant de raretés inestimables.
« Jehan Volay, dit M. Boiteau d’Ambly, dans son livre sur Les cartes à jouer et la cartomancie [Pari, Hachette, 1854], est le cartier le plus connu de tous ceux qui exerçaient leur art, en France, au XVIe siècle. Il fabriquait ses cartes dans les dernières années du règne de François Ier. Nous avons des échantillons de ses ouvrages. Ses figures sont laides, lourdes ; il les désigne par des caractères gothiques. Comme Julien Rosnet, comme Pierre Leroux, Guillaume Guérin, Claude Astier, J. Gayrand et les autres cartiers de ce temps, il fabrique à la fois des cartes françaises et des tarots. On trouve souvent dans ces jeux les valets cuirassés et la salade sur la tête ; c’est le temps des guerres cruelles. Remarquez le bel œil de ce terrible valet qu’on croirait détaché d’une collection de crustacés. Il a flairé un huguenot ; il porte la main à son épée ; le sang coulera. »
« Nous sommes donc, grâce à M. Marteau, en possession d’un premier menu, original, d’une exécution irréprochable, qui constituerait, presque à lui seul, une justification suffisante de l’idée qui a présidé à notre réunion d’aujourd’hui, si elle avait besoin, d’être légitimée.
« Son seul défaut est de créer un précédent un peu lourd pour l’avenir. Heureusement, les artistes sont nombreux dans notre Société, et il n’est peut-être pas trop téméraire d’espérer qu’ils ne laisseront pas protester la lettre de change que nous tirons sur leur bonne volonté.
« Mais si les menus sont appelés à être un des attraits de nos futurs dîners, s’ils doivent en rester des souvenirs durables dont la collection aura plus tard une valeur toute particulière à nos yeux, leur contemplation ne saurait être l’aliment unique de nos réunions.
« Notre dévoué Secrétaire général, M. Flobert, va tout à l’heure nous montrer comment on peut et comment on pourra, chaque mois, à son exemple et avec le concours de tous, faire naître une causerie sur un sujet déterminé, et donner à nos soirées une fin qui soit digne de leur commencement. Nous nous occuperons ce soir, sous sa direction, des images de piété.
« Plusieurs d’entre nous ont, à son appel, apporté des extraits de leurs collections. »
La tradition des menus du Vieux Papier était ainsi créée. Elle se maintint sans défaillance jusqu’au 102e diner. Mais le coût croissant des frais de gravure, de reproduction et d’impression interrompit cette tradition et ce ne fut que de façon occasionnelle que, par la suite, et grâce à la générosité des conférenciers, des menus furent offerts aux convives. Nous essayons de reprendre cette tradition, mais ce n’est pas sans difficulté. La liste de ces menus a été dressée en 1938 par M. Roger Braun. Elle est reproduite plus loin et complétée par la liste des diners de 1938 à 1982.
À une certaine période, il était possible pour ceux qui n’avaient pu assister aux diners de se faire envoyer les menus, moyennant un léger supplément d’abonnement. C’est là une possibilité que nous souhaiterions pouvoir rétablir.